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De l'autre côté du miroir
16 janvier 2012

La Comédie Française au Petit Palais : une exposition frustrante

 Le 15 octobre dernier ouvrait au Petit Palais l'exposition "La Comédie Française s'expose au Petit Palais" qui a pris fin hier. Un sujet qui était alléchant, d'autant plus pour les spectateurs réguliers ou ponctuels de cette institution. Malheureusement, l'exposition s'est avérée au final plutôt décevante...

 

salle richelieuLa Comédie Française. Malgré la multiplication des lieux de théâtre depuis le XVIIème siècle, le lieu n'a pas perdu de sa symbolique, son nom résonnant encore aujourd'hui comme un gage de qualité et de talent.

 La Comédie Française, c'est tout un univers. Non seulement des "classiques" du répertoires, dont les fameuses adaptations de Molière, souvent vues en classe ou en famille lorsqu'on est au collège mais également, et de plus en plus, des oeuvres moins connues remises sur le devant de la scène telle cette année "Le Mariage" de Gogol. Non seulement des pièces françaises, mais également des textes européens et américains, comme "Les Trois soeurs" de Tchekhov et "Un tramway nommé Désir" de Tennessee Williams joués tous deux l'an dernier.  Loin de l'image ultra-traditionnelle que certaines personnes ont de l'institution, "Le Français" comme on l'appelle a beaucoup changé en quelques décennies, et parvient aujourd'hui à concilier des mises en scène plus classiques avec d'autres plus contemporaines. Depuis quelques saisons, la maison favorise de plus en plus les passerelles jetées entre le théâtre et d'autres arts - dont la chanson et la danse.

La Comédie Française, ce sont également des lieux : l'illustre salle Richelieu, la plus grande salle de l'institution et celle à laquelle on l'associe 71417974_pimmédiatement ; la salle du Vieux Colombier, de taille moyenne, qui a pris place à St Germain des Prés en 1913 ; et enfin, le Studio Théâtre, petite salle de 136 places ouverte au Carrousel du Louvre en 1996 et accueillant notamment des lectures de textes. Trois lieux très différents mais dont l'articulation permet à l'institution de déployer une programmation éclectique et susceptible de répondre à des attentes assez différentes.

 Afin de présenter les collections de la Comédie Française, acquises au cours des siècles depuis 1680, les commissaires de l'exposition du Petit Palais ont opté pour un parcours en cinq temps, "cinq actes" selon les règles classiques de la dramaturgie. Tout d'abord, l'ancrage en "1680 : date fondatrice d'une institution, la Comédie Française". Cette partie met en avant les troupes de théâtre au XVIIème siècle et la figure phare de Molière, "fondateur spirituel" du lieu. Puis, l'exposition nous présente "L'Institution et ses demeures" et son répertoire : "Des oeuvres et des hommes". Ensuite, elle se focalise sur "L''histoire d'une troupe" avec l'évocation des différents types de rôles et la présence de portraits de grands acteurs ayant marqué l'Histoire du Français. Enfin, elle prend fin avec une dernière patrie consacrée à "Molière mis en scène".

comedie-francaise-sexpose-petit-palais-L-1ysuUgDans son ensemble, l'exposition nous donne la possibilité de découvrir un patrimoine artistique d'une indéniable richesse.  200 oeuvres sont présentes, dont de très nombreux tableaux et sculptures (essentiellement des bustes de dramaturges), ainsi que de nombreux dessins, dont une série représentant Rachel, une des plus grandes actrices de la maison, dans plusieurs de ses rôles. Les informations sur les grandes étapes de l'institution et ses acteurs permettent d'en apprendre juste ce qu'il faut sur les sujets évoqués, ce qui nous épargne le sentiment d'être noyés par les données historiques lorsqu'on a peu de connaissances sur l'Histoire de la maison. 

Le principal problème réside cependant justement dans le contenu même de l'exposition, en grande partie déroutant par rapport à ce qu'on aurait pû attendre et espérer d'un tel sujet. En effet, si l'exposition nous donne à voir par exemple certains des plus beaux portraits d'acteurs des siècles passés, elle ne parvient pas à nous montrer véritablement l'envers de la Comédie Française. Ainsi, si elle décrit rapidement le fonctionnement du Comité de sélection, de très nombreux sujets, pourtant importants, ne sont tout simplement pas évoqués au sein de l'exposition. Aucune évocation de l'administration de la maison, ni du travail des acteurs ou des techniciens. Aucun discours sur les étapes de la création d'une nouvelle mise en scène. Aucune information sur la manière dont les acteurs sont recrutés ni sur l'évolution du répertoire au cours du siècle et les grands changements qu'a connus cette institution. Des impasses d'autant plus dommages qu'elles constituent sans doute les sujets les plus intéressants aux yeux d'un public qui aime le théâtre. Pourquoi ne pas avoir décrit une journée type d'un acteur à la Comédie Française  par exemple ? Pourquoi ne pas s'être intéressé aux grandes évolutions de l'art de la mise en scène au Français depuis ses débuts ? Tout ceci aurait pourtant mérité de figurer dans cette exposition qui demeure en fin de compte assez figée et ne laisse que peut transparaître la "vie" au sein de ce lieu. 

Plus étrange, l'exposition ne comprend aucun extrait de pièce de théâtre, alors qu'il 27-maquettesexiste une vingtaine de titres de pièces enregistrées à la Comédie Française des années 1960 aux années 2000, sans parler de captations plus récentes telle celle de "Cyrano de Bergerac" de Denis Podalydès. Elle ne nous donne pas davantage la possibilité d'entendre grâce à des écouteurs des enregistrements d'interprétations d'acteurs. Et ne présente encore moins d'interviews de membres actuels ou passés de la troupe. Si certains accessoires, d'une grande beauté, sont exposés - tels les masques des "Fables de la Fontaine" mis en scène par Robert Wilson en 2003 -, ceux-ci sont malheureusement trop rares, et ne sont pas accompagnés d'informations  sur leur fabrication ou simplement de photographies de leur utilisation scénique. De la même manière, seuls deux costumes sont présents. La dernière partie de l'exposition, consacrée à Molière, nous fait découvrir de très nombreuses maquettes de mises en scène, dont une grande partie correspond d'ailleurs à des pièces écrites par d'autres dramaturges. Une inadéquation avec le titre néanmoins bénéfique puisqu'elle nous permet de plonger davantage au coeur du vaste répertoire du lieu. Cependant, là encore, on peut regretter que l'exposition n'ait pas choisi de confronter plusieurs mises en scène d'une même pièce en les disposant côte à côte, ce qui aurait été davantage intéressant. De surcroît, si la majorité des maquettes sont visibles à taille d'homme, une minorité sont présentées trop haut, ce qui n'en permet qu'une vision lointaine. La dernière paroi de l'exposition est constituée d'un panorama de la troupe à l'heure actuelle, une jolie idée pour terminer l'exposition sur le présent et l'avenir du lieu après avoir exposé son Histoire, mais malheureusement l'exposition n'accorde  pas assez de place au métier et au jeu d'acteur.

talma_en_manlinus_par_david_dangers_photo_loretteDe manière générale, la scénographie surprend par son manque d'audace. Si la galerie de bustes de grands dramaturges de l' "Acte III : Le répertoire : des oeuvres et des hommes" accorde une place originale au texte, de nombreuses projections de citations célèbres ponctuant le sol de l'espace, les autres pièces ne bénéficient pas d'effets originaux. Là encore, on aurait pû s'attendre à de grands effets de mise en scène, tel un parcours ponctué de voix et d'images, voire de lumières, nous plongeant au coeur de l'art théâtral grâce au jeu des interprètes passés et actuels de la Comédie Française. A l'heure où l'on ne cesse de parler de la Révolution Numérique, et où de nombreux musées prennent acte de celle-ci au point d'opérer de radicaux changements dans leur manière de concevoir leurs projets et d'accompagner leurs  spectateurs, il est particulièrement dommage de ne pas en avoir tiré le moindre profit pour une exposition sur un art aussi vivant et interactif que le théâtre.

   Le résultat ? Un sentiment que le sujet n'a été que partiellement traité,  par le biais d'une scénographie plutôt froide, à mille lieux de l'enthousiasme et de la chaleur que l'on peut ressentir à l'issue d'une représentation théâtrale réussie. Au final, c'est un sentiment de frustration qui domine à la sortie de l'exposition : celui d'avoir pu pousser la porte des coulisses de la Comédie Française, mais de ne pas avoir pu véritablement y rentrer.

Christine Brion.

 

Images :

- Photographie de la salle Richelieu.

- Molière dans le rôle de César (La Mort de Pompée, Corneille) par Nicolas Mignard.

- Sarah Bernhardt dans le rôle de la Reine (Ruy Blas, Victor Hugo) par George Clairin, 1879.

- Talma dans le rôle-titre (Manlius Capitolinus, La Fosse d'Aubigny) par David d'Angers.

- Photographie des maquettes exposées dans la partie "Molière mis en scène".

 

Crédits photographiques

- Photographie de la salle Richelieu : © Jean-Erick Pasquier.

- Oeuvres présentes dans l'exposition : © Patrick Lorette / Comédie-Française.

sauf la photographie des maquettes : ©  SPECTACLES SELECTION.

 

 Liens :

- le lien internet de l'exposition

- un lien sur l'exposition "L'art du costume à la Comédie Française" qui s'est déroulée du 11 juin 2010 au 31 décembre 2011 au CNS, Centre national du costume de scènesitué à Moulins et dont le déroulement en parallèle de l'exposition du Petit Palais peut expliquer en partie le faible nombre de costumes de cette dernière exposition. On peut notamment visionner sur le site plusieurs reportages consacrés à la création des costumes et des décors.

- et un lien sur la nouvelle exposition "L'Envers du Décor à la Comédie Française et à l'Opéra de Paris au XIXème siècle", qui se déroule du 28 janvier au 20 mai 2012, toujours au CNS. Elle est consacrée à la mise en scène théâtrale, aux décors et aux trucages.

- le site internet de la Comédie Française.

En dehors de la présentation de la saison (et en archives celles des années passées) et d'un service de billetterie en ligne, ce site très fourni comprend également des biographies des membres de la troupe,  ainsi que de nombreuses informations sur l'organisation de la Comédie Française et son Histoire, sans oublier un espace boutique. Depuis peu, les collections de la Comédie Française sont également accessibles en ligne avec la mise en place de la Base de données Lagrange.

 

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